3 Mai 68 : dans la cour de la Sorbonne

Le 3 mai, après la fermeture de la faculté de Nanterre, les étudiants refluent en assemblée générale à la Sorbonne.

Le doyen Grappin demande l’évacuation par les CRS qui procèdent à l’arrestation des principaux dirigeants syndicaux et politiques étudiants.

Une manifestation spontanée surgit dans les rues du Quartier autour de la Sorbonne : « Libérez nos camarades ! »

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Sur ce cliché ©UPI, on reconnait au centre Dany Cohn Bendit. Je reconnais Michel Bablon (tête brune, pull ras de cou, blouson de cuir beige) devant le 4eme pilier de la chapelle, au-dessus de Brice Lalonde, alors président de FGEL (Fédération Générale des Etudiants de Lettre), lui-même à côté de Jacques Bleiptreu. Je les ai connus quelques jours plus tard au Comité d’Occupation de la Sorbonne.

Le cliché est visible sur quelques pages, dont celle-ci https://www.sudouest.fr/2018/03/12/entretien-avec-edgar-morin-mai-68-c-etait-plus-d-autonomie-plus-de-liberte-plus-de-communaute-4275793-10275.php

Cette photo recadrée est visible dans un article récent de la Tribune (DR)

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/mai-68-quand-la-france-se-joignait-aux-convulsions-du-monde-771543.html

La photo doit être prise lors de l’assemblée générale avant l’attaque des CRS.
Tout le monde est joyeux, autour de Dany le Rouge au mégaphone. Sur la gauche, je reconnais trois personnes.

Dans l’angle inférieur, c’est Brice Lalonde, souriant et presque gouailleur. Dans les extraits du Journal, je raconte comment j’ai rencontré le petit prince de la Sorbonne. A l’époque, il était le président de la FGDL (Fédération Générale des Etudiants de Lettres).

À côté de lui, je reconnais Jacques Bleiptreu, lui aussi rigolard et devant faire un bon mot. À la fin de l’année 68, je lui servirai de guide à Nantes et Saint-Nazaire pour rencontrer les militants de la région, dont le frère aîné de Dany, Gaby Cohn-Bendit, resté militant de base engagé dans l’éducation alternative.

Et en haut à gauche, je reconnais soudain Michel Bablon, mon révolutionnaire malgache, sérieux lui, la révolution était une affaire sérieuse. Il avait trente ans, mais il fait très jeune sans ses lunettes qu’il venait de casser et qu’il remplacera pendant la période du Comité d’Occupation, des petites lunettes cerclées de fer façon Trotsky.

Jacques et Michel ont fait partie du troisième et dernier comité d’occupation de la Sorbonne.

Il est bon de mettre des visages sur quelques personnes qui vont traverser mes pages de souvenirs, de mémoires et d’archives.

Extraits des archives

En juin 1968, je prenais des notes pour écrire un livre avec les militants sur l’expérience du comité d’occupation. Le projet a été abandonné très vite, mais j’ai retrouvé les notes dans mes archives.

Voici ce que me disait Michel Bablon, guévariste, sur le 3 mai 1968.

Les événements dépassent tous les groupes politiques et débordent toutes les prévisions. La formation de groupes entraînés devait être mise en place à la rentrée universitaire d’octobre 68.

Le mot d’ordre : revoir l’université. Selon Forman (Milos Forman venait d’arriver à Paris depuis Prague) : les problèmes français sont ceux d’une période pré-révolutionnaire.

Vendredi 3 mai 68 : la fermeture de la fac de Nanterre est demandée par le doyen Grappin. D’où le meeting à la Sorbonne.
On s’attend à une attaque fasciste. Le lundi précédent, Occident a attaqué la FGEL (Fédération Générale des Etudiants de Lettres).
Dans les cars des étudiants arrêtés à la Sorbonne le 3 mai, se trouvaient tous les éléments forts de l’UNEF, FGEL, MAU, JCR, 22 mars.

Samedi 4 mai : on prend des contacts pour la reprise de la Sorbonne.
Problème : doit-on attendre la rentrée universitaire où des luttes étaient prévues ? Ou doit-on agir immédiatement car Dany et six camarades doivent passer en Conseil de discipline ?
Les mots d’ordre lancés sont : « La fac aux étudiants » « Libérez nos camarades »

Voici ce que me disait Jean-Claude Rabinovitch, de l’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) sur son engagement le 3 mai 68.

Pourquoi un engagement le 3 mai

Il m’était insupportable de voir les flics de si près, devant la Sorbonne, de voir les étudiants emmenés dans les fourgons de police. Particulièrement lors de la première manifestation. En solidarité envers la lutte des étudiants de Nanterre. Mis au courant, ça prenait son sens.

Pendant une semaine, j’ai fait toutes les manifestations, suivi tous les mots d’ordre de l’UNEF, SNE-Sup, 22 mars.

Le vendredi 17 mai, l’AG de la Sorbonne me propose pour le Comité d’Occupation

Gaelle Kermen
Kerantorec, le 3 mai 2018


Gaelle Kermen prépare un livre d’archives, souvenirs et bilans sur Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

3 Mai 68 : inauguration de la boutique de mia et vicky

Il y a cinquante ans, le 3 mai 68 après-midi, les leaders étudiants étaient en assemblée générale dans la cour de la Sorbonne après la fermeture de Nanterre. Mon compagnon de l’époque, Michel Bablon, révolutionnaire malgache, y était aussi.

Ce jour-là, je préparais l’inauguration de la boutique de Mia et Vicky, 21 rue Bonaparte, à quelques pas du 15 rue Visconti où j’habitais avec Michel Bablon.

Invitation Mia et Vicky, 3 mai 1968
illustration d’Ed Baynard 68

Je me souviens de la présence du sculpteur César, ami de Louis Féraud. J’avais retrouvé des gens connus les années précédentes.

Mia Fonssagrives était alors mariée au couturier Louis Féraud, papa de mon amie Kiki.

.invitation boutique Mia Vicky baynard 68

J’avais assisté à la soirée dans une robe que j’avais créée, en shantung de soie beige, peinte par Michel Bablon.

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Son frère avait peint à la gouache ma gorge et mes pieds nus dans le style des dessins de la robe. Michel Bablon, qui devait m’accompagner à l’inauguration de la boutique, avait disparu.

En fait, il était à la Sorbonne, embarqué avec tous les leaders de groupuscules dans les paniers à salades de l’époque.

C’est ce soir-là qu’a commencé le mois de Mai 68 avec les premières échauffourées du Quartier latin aux cris de « Libérez nos camarades !  »

Moi, je dansais chez Mia et Vicky…

Gaelle Kermen,
Kerantorec 3 mai 2018

©1968-2010-2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

 

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août dernier soir

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août dernier soir

Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos inédites de Jacques Morpain.


Personnages
Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans

Texte de Gaelle Kermen (1970)
Photographies de Jacques Morpain (1970)

Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.


île de wight dimanche 30 août 1970 dernier soir

je venais de penser qu’il n’y avait rien de comparable avec l’an dernier
en bas la foule n’a pas la force compacte de celle qui attendait dylan
pour rappeler l’atmosphère on a mis le disque hare krishna
importance psychanalytique du besoin de recréer les situations
mais ça ne marche pas

puis jethro jull
très bon
dingue

enfin jimi hendrix
bien parti
il joue l’hymne anglais comme il avait joué l’hymne américain à woodstock

mais il semble ne pas avoir la forme qu’il avait à woodstock

avec hendrix j’ai eu de nouveau l’impression que personne ne croyait plus à la musique à la paix à l’amour ni ceux qui chantaient ni ceux qui les écoutaient

tout au long du festival la question d’argent était revenue trop souvent

le même speaker qui avait pleuré sur ses millions de livres de déficit annonce joyeusement que six cent mille personnes sont venus à wight et que c’est magnifique

joan baez passe après jimi

elle parle de son mari
l’armée américaine le change régulièrement de prison
now he is at new-york

je m’ennuie
ou alors je l’ai entendue trop souvent raconter la même chose
six fois déjà
elle a toujours le même répertoire
une chanson de dylan en premier
puis let it be des beatles qu’elle a toujours aimé
là c’est oh happy days
oh my god

j’ai adoré joanie
j’aimais son visage de femme forte d’intelligence
l’an dernier elle avait coupé ses cheveux courts comme après une psychanalyse
je l’aimais pour un beau geste qu’elle avait eu un soir de printemps à paris au bullier en 1965
elle parlait de non-violence de gandhi de martin luther king
j’y croyais
c’était la belle époque du mcaa enfin le mouvement contre l’armement atomique des marches de la paix à taverny

ce soir-là au bullier joanie avait été prise à partie par des marxistes-léninistes
et dany cohn-bendit s’était approché du micro pour la défendre
oui oui oui comme je vous le dis
dany était fou de joanie et joanie dans son émoi lui avait pris la main
et dany flamboyait
c’était très beau

ensuite quelqu’un avait parlé de dylan
ils étaient séparés déjà
elle a eu un beau geste de la chevelure pour éluder
il a changé elle a dit
et il y avait dans son geste de la main toute la souffrance des femmes abandonnées
avec une rare beauté

je l’aimais pour ça
et pour sa brillance spirituelle ironique typiquement américaine
maintenant elle m’ennuie

elle est la première accusée de se faire payer trop cher
alors elle s’est décidée à dire qu’elle donnait son cachet de 12 000 livres en partie à des retardés mentaux et en partie à son école de non-violence de carmel
un peu trop tard

on a du mal à y croire et c’est bien dommage parce qu’elle au moins avait l’air d’y croire à la musique à la paix à l’amour


léonard cohen passe après joan baez

il est 4 heures du matin

ici sur la colline le vent de la mer repousse les paroles

je cherche des bribes de chanson dans le vent

je pensais que la voix cassée pleine de charme trouvait sa véritable dimension autour d’un simple feu de bois comme ça devait l’être à hydra d’après ce que m’a raconté platon lorsque nous étions en toscane ils étaient amis à l’époque de song for a room

mais il suffit de descendre quelques mètres pour jouir de l’amplitude douce et écorchée des chansons de cohen

plusieurs sont de l’album song from a room dont i know tonight will be fine avec une nouvelle manière de s’accompagner

sa voix se fait plus impératrice plus exigeante sur la foule en grande partie endormie à cette heure de la nuit

il fait bien son boulot
mais il manque une dimension celle que mélanie a su capter au petit matin

après seams so long ago nancy
il a dit good night friends

ça n’a pas déliré

ou je me suis endormie

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Texte de Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970
en mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997
ACD Carpe Diem 2017