Brouillon de l’article remis à la revue Esprit, 19 rue Jacob, Paris, Ve, après le concert du 3 octobre 1971 de Johnny Halliday au Palais des Sports, avec Gary Wright Wonder Wheel en première partie et Michel Polnareff au piano.
Support : papier pelure, dupliqué par papier carbone Armor (marque déposée par la Société Galland et Brochard à Nantes en 1925)
Archives 1971 de Gaelle Kermen
Kerantorec, le 8 décembre 2017
Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos inédites de Jacques Morpain.
Personnages Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans
Texte de Gaelle Kermen (1970) Photographies de Jacques Morpain (1970)
Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.
île de wight dimanche 30 août 1970 dernier soir
je venais de penser qu’il n’y avait rien de comparable avec l’an dernier en bas la foule n’a pas la force compacte de celle qui attendait dylan pour rappeler l’atmosphère on a mis le disque hare krishna importance psychanalytique du besoin de recréer les situations mais ça ne marche pas
puis jethro jull très bon dingue
enfin jimi hendrix bien parti il joue l’hymne anglais comme il avait joué l’hymne américain à woodstock
mais il semble ne pas avoir la forme qu’il avait à woodstock
avec hendrix j’ai eu de nouveau l’impression que personne ne croyait plus à la musique à la paix à l’amour ni ceux qui chantaient ni ceux qui les écoutaient
tout au long du festival la question d’argent était revenue trop souvent
le même speaker qui avait pleuré sur ses millions de livres de déficit annonce joyeusement que six cent mille personnes sont venus à wight et que c’est magnifique
joan baez passe après jimi
elle parle de son mari l’armée américaine le change régulièrement de prison now he is at new-york
je m’ennuie
ou alors je l’ai entendue trop souvent raconter la même chose six fois déjà elle a toujours le même répertoire une chanson de dylan en premier puis let it be des beatles qu’elle a toujours aimé là c’est oh happy days oh my god
j’ai adoré joanie j’aimais son visage de femme forte d’intelligence l’an dernier elle avait coupé ses cheveux courts comme après une psychanalyse je l’aimais pour un beau geste qu’elle avait eu un soir de printemps à paris au bullier en 1965 elle parlait de non-violence de gandhi de martin luther king j’y croyais c’était la belle époque du mcaa enfin le mouvement contre l’armement atomique des marches de la paix à taverny
ce soir-là au bullier joanie avait été prise à partie par des marxistes-léninistes et dany cohn-bendit s’était approché du micro pour la défendre oui oui oui comme je vous le dis dany était fou de joanie et joanie dans son émoi lui avait pris la main et dany flamboyait c’était très beau
ensuite quelqu’un avait parlé de dylan ils étaient séparés déjà elle a eu un beau geste de la chevelure pour éluder il a changé elle a dit et il y avait dans son geste de la main toute la souffrance des femmes abandonnées avec une rare beauté
je l’aimais pour ça et pour sa brillance spirituelle ironique typiquement américaine maintenant elle m’ennuie
elle est la première accusée de se faire payer trop cher
alors elle s’est décidée à dire qu’elle donnait son cachet de 12 000 livres en partie à des retardés mentaux et en partie à son école de non-violence de carmel un peu trop tard
on a du mal à y croire et c’est bien dommage parce qu’elle au moins avait l’air d’y croire à la musique à la paix à l’amour
léonard cohen passe après joan baez
il est 4 heures du matin
ici sur la colline le vent de la mer repousse les paroles
je cherche des bribes de chanson dans le vent
je pensais que la voix cassée pleine de charme trouvait sa véritable dimension autour d’un simple feu de bois comme ça devait l’être à hydra d’après ce que m’a raconté platon lorsque nous étions en toscane ils étaient amis à l’époque de song for a room
mais il suffit de descendre quelques mètres pour jouir de l’amplitude douce et écorchée des chansons de cohen
plusieurs sont de l’album song from a roomdont i know tonight will be fine avec une nouvelle manière de s’accompagner
sa voix se fait plus impératrice plus exigeante sur la foule en grande partie endormie à cette heure de la nuit
il fait bien son boulot
mais il manque une dimension celle que mélanie a su capter au petit matin
après seams so long ago nancy il a dit good night friends
ça n’a pas déliré
ou je me suis endormie
Texte de Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970 en mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997 ACD Carpe Diem 2017
Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos de Jacques Morpain.
Personnages Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans
Texte de Gaelle Kermen (1970) Photographies inédites de Jacques Morpain (1970)
Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.
île de wight dimanche 30 août 1970 après-midi
plus tard nous remontons au festival et là c’est une sacrée fumisterie
nous avons pu entrer dans l’arène puisque maintenant c’est free depuis l’attaque des palissades je me demande comment on a osé faire payer 3 livres pour ne rien entendre impossible de discerner la jolie voix de l’adorable donovan
en bas ça ressemble maintenant à un meeting organisé par le parti communiste au bois de vincennes on est venus en famille passer le dimanche après-midi au festival on est allongés au soleil on n’entend que dalle on participe à peine comment le pourrait-on puisqu’il semble que seuls les premiers rangs jouissent de la touchante présence de donovan
bref il n’y a que sur la colline qu’on entende quelque chose la colline c’est toute la grandeur du festival la nuit ça a autant de gueule qu’un pèlerinage à lourdes je ne suis jamais allée à lourdes mais je m’attends souvent à voir tomber à genoux les gens sur cette colline comme je l’avais vu à la salette quand j’étais petite
mais où est celui ou celle qui nous fera mettre à genoux ce soir dylan n’est pas là i misses him m’a dit un américain
dylan reste le plus grand on vend ici son disque illégal bootlegger un disque tout blanc très rare au prix de 2 livres et demi on vend aussi son tarentula ce qui devait être son roman écrit au fil des chambres d’hôtel ou autre mais qu’il n’a pas publié parce qu’il a eu son accident de moto tarentula est une soixantaine de pages polycopiées signées robert zimmerman son vrai nom pour 10 shillings
rien n’est comparable à dylan je me rappelle la retransmission du festival de wight 69 faite par michel lancelot sur europe 1 dans campus
il annonçait parfois tranquillement l’arrivée des beatles ou des stones dans l’assemblée eux qui déchaînent les foules quand ils se produisent quelque part ici leur arrivée ne troublait personne ils étaient là comme les autres au même titre que les autres venus voir le plus grand
le film de pennbakerdont’ look back sur dylan passe ici le soir nous l’avons vu à londres au paris-pullman un dylan d’il y a 5 ans en 65 un dylan insoupçonnablement beau des yeux tendres aux longs cils des cheveux d’ange un dylan qui n’a rien a voir avec celui des photos habituelles ni avec celui de l’olympia 66 un dylan vivant mouvant riant mordant un dylan incisif et doux
deux très belles scènes dans le film l’une est plus ancienne que le film et date des débuts de dylan chantant only a pawn in their game entouré d’ouvriers noirs il articulait consciencieusement dans le micro il avait les cheveux plus courts et encore cet air de boy-scout qui aurait grandi
l’autre se passe dans une chambre d’hôtel à londres entre deux concerts à l’albert hall joanie baez chante une mélodie très douce longs cheveux noirs autour du visage grave elle s’accompagne à la guitare dylan est devant sa machine à écrire il écrit tac tac tac tac de temps en temps il s’arrête et se laisse bercer par le rythme de la berceuse de joanie puis il reprend tac tac tac tac elle continue avec love is just a four letters word de lui bientôt il prend lui-même une guitare et il improvise avec elle
oui je crois que dylan est le seul qui me ferait mettre à genoux sur cette colline
pentangle bon groupe musique brillante la chanteuse jacqui mac shee est agréable à entendre enfin un groupe qui ne se traîne pas dans l’après-midi
le soir la musique jaillit plus spontanément plus naturellement ce groupe commence à accélérer le rythme de la journée mélodies sans grande originalité mais bien menées il nous semble les avoir toujours connues dans une enfance anglo-saxonne
mais si pentangle a bien commencé eux aussi se traînent maintenant ou alors c’est le vent qui a tourné on attend toujours plus ce festival n’a plus grande motivation je compte sur hendrix et heavens pour chauffer la nuit car ni cohen ni baez n’auront assez d’énergie pour transcender ce festival
les moody blues enfin
le soleil s’embrume dans leurs délicates harmonies dont le melotron retranscrit tous les sons d’un orchestre symphonique ils auraient sans doute gagné à jouer la nuit mais ils terminent ce que mélanie avait éveillé le jour avec un grand calme et beaucoup de rêve
bien sûr on a droit à night in white satin tube célèbre depuis deux étés au moins et de leur opéra days of future passed puis c’est timothy leary is dead de leur search of the lost chord hommage à la drogue hommage à la sagesse hommage à om om om
dans le ciel vibrant un cerf-volant cherche aussi des harmonies perdues dans le rythme ils font un beau succès les moody blues grande classe
l’année dernière le melotron était tombé en panne sur scène la foule avait attendu calmement que celui des moody blues qui l’a inventé l’ingénieur le répare très britannique comme attitude
un organisateur s’obstine à dire que ce n’est plus la peine de détruire les palissades puisque le festival était gratuit désormais
il n’avait pas compris que les plaques de tôle qui s’en allaient comme des petits pains servaient à se protéger du vent pour la nuit
un type à qui on demandait comment il s’était débrouillé pour gagner de l’argent à wight nous a dit ben on faisait des baraques et on les revendait
Pentangle on stage
Texte de Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970 En mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997 ACD Carpe Diem 2017