Début du cahier #3 Le soleil dans l’oeil 1966-68
bob dylan on stage olympia 66
freefallin’
c’était le jour de son anniversaire
Robert Zimmerman venait d’avoir quel âge c’est très simple il est né le 24 mai 1941 à Duluth Minnesota tout le monde savait ça
donc aujourd’hui c’était le 24 mai 1966 il avait 25 ans et tout le poids d’un monde croulait déjà sur ses épaules étriquées
il devait chanter le soir même
l’histoire se passait à paris
pour être exact sur la scène de l’olympia
je n’ai jamais rien vu de plus gracieux que bob dylan sur la scène
ces longs gestes des bras dans l’air
ces entrechats ébauchés
ces sourires fragiles et cette chevelure frissonnante
son corps mince et ondulant sous la musique
desolation row
la recréation permanente de ses chansons sur la scène nous déconcertait tant
nous qui avions l’habitude d’entendre d’autres accords
c’était facile de dire qu’il n’était pas à sa hauteur sur une scène
mais il était plus fort que nous plus génial que tout
seulement il n’a pas de cadres
et nous nous en créons par faiblesse ou facilité
il caressait son harmonica languissamment nonchalamment passionnément soudain comme on caresse comme on embrasse une femme
ces reprises qui arrachent le cœur
bob dylan assis au piano
ballad of a thin man
and something is happening here but you don’t know what it is
do you mister jones
le piano les accords plaqués avec fureur et désespérance
dylan trépignant comme un gosse qui a envie de casser son jouet parce qu’on lui avait promis un bonbon ou un chou à la crème et qu’il ne l’a pas eu
criant dans le micro son écœurement de ne pas pouvoir croire les autres
ceux qui parlent ceux qui promettent ceux qui sont sûrs d’eux et de ce qu’ils disent
un truc contre l’olympia porno et putain contre coquatrix contre hugues auffray et les autres
tous ceux qui étaient venus le voir l’entendre comme on va au cirque sans comprendre
il est vrai que
the circus is in town
payer pour assister à une chute libre
ce n’était plus bob dylan’s freewheelin’ mais bob dylan’s freefallin’
il y a des gens comme ça qui se détruisent systématiquement avec une ténacité lubrique
n’est-ce pas jean-françois ou michel cournot
ou même moi
il y a des gens qui font tout ce qu’ils peuvent pour se faire détester en embêtant farouchement les autres tout ce qu’ils peuvent pour se faire foutre à la porte sous prétexte de sélectionner les gens intéressants mais en espérant jusqu’au bout qu’on les gardera et qu’on finira pas les aimer
mais des gens comme ça c’est gênant c’est crispant ça vous use en un rien de temps ça vous tue même parfois alors on les fout à la porte et après ils trainent leur désespoir et gémissent sur eux-mêmes mais ils refusent de se mettre à la hauteur des gens
ça s’appelle ne pas faire de concessions
bob dylan devant le micro
ses copains complices derrière lui
dylan debout les jambes emmêlées
un bras en l’air
il parle de moto
the motorcycle black madonna
c’est beau une moto
il saute comme un gamin
il tressaute dans les vibrations et nous on sursaute parce qu’on ne comprend pas
il gueule et dégueule
on n’entend rien
il pousse la sono au maximum et il se marre
il s’amuse tout seul ou se raconte des histoires assez marrantes qu’il confie à son adorable petit minet de guitariste qui se marre avec lui
nous on n’est plus dans le coup
on n’est plus là
qu’est-ce qu’on fout là
on aurait dû aller ailleurs ou manger un couscous dix couscous soixante mille couscous plutôt que d’assister à la chute apocalyptique d’un pantin désarticulé
on aurait dû aller se coucher plutôt que de subir les claques délirantes d’un type qui ne dit plus rien qu’est presque raté d’ailleurs il est drogué alors
et la râlance ma jolie comme m’a écrit michel cournot qu’est-ce que ça vaut
bob dylan c’est grand c’est ample c’est toujours aussi beau ça reste toujours plus haut que la râlance mesquine
bon dylan il a tout à dire
et il dit tout
mais pas ici
pas devant ces gens qui ne peuvent pas suivre ni saisir parce qu’ils n’ont jamais été concernés
pas devant ces gens qui ont payé entre quatre mille anciennes balles et plus dont toi ma jolie entre autres et c’est bien fait pour nous y avait qu’à pas faire ça
lui il s’en moque il est plus grand que nous
bob dylan c’est grand comme une cathédrale comme une forêt comme un océan
c’est ample comme le vent de la mer bien sûr
bob dylan même dans la chute ça a du souffle
dylan c’est aussi grand que du wagner et aussi beau que du beethoven
d’ailleurs tenir une scène avec une telle silhouette fuyante presque éphémère
il faut pouvoir le faire
l’intangible de dylan
on croit le suivre le saisir
déjà il est plus loin
il se donne à autre chose
il est un pas en avant
un ton plus haut
il fuit avec un clin d’œil et se cache derrière un pied de nez
oh et puis zut à la fin c’est obsessionnel
j’aime bob dylan depuis un an
je n’ai jamais aimé quelqu’un si longtemps
malin ça
j’ai encore l’impression de flotter sur ses vibrations électriques du concert de l’olympia
ses accords déchirants cernent ma tête et m’entraînent
sooner or later one of us must know
quoi je ne sais pas
où je n’en sais rien
mais c’est là évident
incompréhensible
et très grand
dylan délirant et déchirant incisif et acéré
Notes sur le concert du 24 mai 1966 à Paris, salle de l’Olympia, retranscrite cinquante ans plus sur ce blog
Bon anniversaire, Maître Dylan !
gaelle kermen
kerantorec, 24 mai 2016
Un article écrit sur mon site perso le 24 mai 1998

Bonjour Madame et merci de ce témoignage.
Je découvre votre texte alors que je me documente sur cette fameuse soirée du 24 mai 1966 à l’Olympia, et j’ai pensé que vous accepteriez peut-être de m’aider – puisque vous y étiez.
Sans doute vous souvenez-vous du grand drapeau américain tendu ce soir-là en fond de scène, on peut l’apercevoir sur quelques photos prises à l’époque, alors que Dylan est en train de jouer la deuxième partie du concert accompagné de son groupe. Mais vous souvenez-vous si ce drapeau était présent dès le début de la soirée, dès la première partie où Dylan joue seul, ou si au contraire il fut installé durant l’entracte et ne fit son apparition qu’à la reprise ? Dans l’hypothèse de ce second scénario, comment les choses se passèrent-elles, y avait-il un rideau qui cachait la scène et qui s’ouvrit finalement sur les instruments des musiciens et sur ce drapeau ? Et enfin, selon votre impression, son apparition suscita-t-elle quelque chose dans le public, un mouvement particulier, une réaction ?
J’espère ne pas vous importuner de toutes ces petites questions, votre aide me serait précieuse, elle me permettrait de me plonger un peu mieux dans l’atmosphère de ce concert.
Très cordialement,
JMB.
Bonjour Jean-Michel, merci de votre intérêt.
A vrai dire, je n’avais aucun souvenir de ce drapeau avant de vous lire et je ne saurais répondre directement à votre question. J’ai le souvenir que la seconde partie a été houleuse.
Je n’ai pas alors fait le rapprochement avec le drapeau, mais j’ai attribué ce changement dans la salle à l’électrification de l’orchestre. Oui, ça, je m’en souviens. La plupart des gens attendaient le folk-pop-singer et rageaient de voir que Bob Dylan refusait de rester confiné dans un rôle de messager pour devenir le grand Dylan créateur, qui a mérité plus tard le Prix Nobel de Littérature.
Je me souviens de son ensemble « pied de poule » (j’étais déjà passionnée de couture et mode). Je me souviens qu’il tournait souvent le dos à son public pour discuter avec l’orchestre. Je me souviens de quelques chansons sublimes que j’ai trouvées l’été suivant dans l’album « Blonde on Blonde » que ma sœur m’avait rapporté des Etats-Unis et qui reste pour moi un de ses sommets : Desolation Row, Visions of Johanna, I Want You.
J’ai eu conscience d’une rupture avec son public. Pour moi, il était « a Puppet on a String » comme Sandy Shaw l’a chanté l’année suivante. Un magnifique balladin qui se jouait des modes et des diktats. Un grand bonhomme que je comparais à Shakespeare et qui reste un des plus grands poétes de notre époque… Dynalement vôtre, gaelle