3 Mai 68 : dans la cour de la Sorbonne

Le 3 mai, après la fermeture de la faculté de Nanterre, les étudiants refluent en assemblée générale à la Sorbonne.

Le doyen Grappin demande l’évacuation par les CRS qui procèdent à l’arrestation des principaux dirigeants syndicaux et politiques étudiants.

Une manifestation spontanée surgit dans les rues du Quartier autour de la Sorbonne : « Libérez nos camarades ! »

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Sur ce cliché ©UPI, on reconnait au centre Dany Cohn Bendit. Je reconnais Michel Bablon (tête brune, pull ras de cou, blouson de cuir beige) devant le 4eme pilier de la chapelle, au-dessus de Brice Lalonde, alors président de FGEL (Fédération Générale des Etudiants de Lettre), lui-même à côté de Jacques Bleiptreu. Je les ai connus quelques jours plus tard au Comité d’Occupation de la Sorbonne.

Le cliché est visible sur quelques pages, dont celle-ci https://www.sudouest.fr/2018/03/12/entretien-avec-edgar-morin-mai-68-c-etait-plus-d-autonomie-plus-de-liberte-plus-de-communaute-4275793-10275.php

Cette photo recadrée est visible dans un article récent de la Tribune (DR)

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/mai-68-quand-la-france-se-joignait-aux-convulsions-du-monde-771543.html

La photo doit être prise lors de l’assemblée générale avant l’attaque des CRS.
Tout le monde est joyeux, autour de Dany le Rouge au mégaphone. Sur la gauche, je reconnais trois personnes.

Dans l’angle inférieur, c’est Brice Lalonde, souriant et presque gouailleur. Dans les extraits du Journal, je raconte comment j’ai rencontré le petit prince de la Sorbonne. A l’époque, il était le président de la FGDL (Fédération Générale des Etudiants de Lettres).

À côté de lui, je reconnais Jacques Bleiptreu, lui aussi rigolard et devant faire un bon mot. À la fin de l’année 68, je lui servirai de guide à Nantes et Saint-Nazaire pour rencontrer les militants de la région, dont le frère aîné de Dany, Gaby Cohn-Bendit, resté militant de base engagé dans l’éducation alternative.

Et en haut à gauche, je reconnais soudain Michel Bablon, mon révolutionnaire malgache, sérieux lui, la révolution était une affaire sérieuse. Il avait trente ans, mais il fait très jeune sans ses lunettes qu’il venait de casser et qu’il remplacera pendant la période du Comité d’Occupation, des petites lunettes cerclées de fer façon Trotsky.

Jacques et Michel ont fait partie du troisième et dernier comité d’occupation de la Sorbonne.

Il est bon de mettre des visages sur quelques personnes qui vont traverser mes pages de souvenirs, de mémoires et d’archives.

Extraits des archives

En juin 1968, je prenais des notes pour écrire un livre avec les militants sur l’expérience du comité d’occupation. Le projet a été abandonné très vite, mais j’ai retrouvé les notes dans mes archives.

Voici ce que me disait Michel Bablon, guévariste, sur le 3 mai 1968.

Les événements dépassent tous les groupes politiques et débordent toutes les prévisions. La formation de groupes entraînés devait être mise en place à la rentrée universitaire d’octobre 68.

Le mot d’ordre : revoir l’université. Selon Forman (Milos Forman venait d’arriver à Paris depuis Prague) : les problèmes français sont ceux d’une période pré-révolutionnaire.

Vendredi 3 mai 68 : la fermeture de la fac de Nanterre est demandée par le doyen Grappin. D’où le meeting à la Sorbonne.
On s’attend à une attaque fasciste. Le lundi précédent, Occident a attaqué la FGEL (Fédération Générale des Etudiants de Lettres).
Dans les cars des étudiants arrêtés à la Sorbonne le 3 mai, se trouvaient tous les éléments forts de l’UNEF, FGEL, MAU, JCR, 22 mars.

Samedi 4 mai : on prend des contacts pour la reprise de la Sorbonne.
Problème : doit-on attendre la rentrée universitaire où des luttes étaient prévues ? Ou doit-on agir immédiatement car Dany et six camarades doivent passer en Conseil de discipline ?
Les mots d’ordre lancés sont : « La fac aux étudiants » « Libérez nos camarades »

Voici ce que me disait Jean-Claude Rabinovitch, de l’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) sur son engagement le 3 mai 68.

Pourquoi un engagement le 3 mai

Il m’était insupportable de voir les flics de si près, devant la Sorbonne, de voir les étudiants emmenés dans les fourgons de police. Particulièrement lors de la première manifestation. En solidarité envers la lutte des étudiants de Nanterre. Mis au courant, ça prenait son sens.

Pendant une semaine, j’ai fait toutes les manifestations, suivi tous les mots d’ordre de l’UNEF, SNE-Sup, 22 mars.

Le vendredi 17 mai, l’AG de la Sorbonne me propose pour le Comité d’Occupation

Gaelle Kermen
Kerantorec, le 3 mai 2018


Gaelle Kermen prépare un livre d’archives, souvenirs et bilans sur Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

3 Mai 68 : inauguration de la boutique de mia et vicky

Il y a cinquante ans, le 3 mai 68 après-midi, les leaders étudiants étaient en assemblée générale dans la cour de la Sorbonne après la fermeture de Nanterre. Mon compagnon de l’époque, Michel Bablon, révolutionnaire malgache, y était aussi.

Ce jour-là, je préparais l’inauguration de la boutique de Mia et Vicky, 21 rue Bonaparte, à quelques pas du 15 rue Visconti où j’habitais avec Michel Bablon.

Invitation Mia et Vicky, 3 mai 1968
illustration d’Ed Baynard 68

Je me souviens de la présence du sculpteur César, ami de Louis Féraud. J’avais retrouvé des gens connus les années précédentes.

Mia Fonssagrives était alors mariée au couturier Louis Féraud, papa de mon amie Kiki.

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J’avais assisté à la soirée dans une robe que j’avais créée, en shantung de soie beige, peinte par Michel Bablon.

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Son frère avait peint à la gouache ma gorge et mes pieds nus dans le style des dessins de la robe. Michel Bablon, qui devait m’accompagner à l’inauguration de la boutique, avait disparu.

En fait, il était à la Sorbonne, embarqué avec tous les leaders de groupuscules dans les paniers à salades de l’époque.

C’est ce soir-là qu’a commencé le mois de Mai 68 avec les premières échauffourées du Quartier latin aux cris de « Libérez nos camarades !  »

Moi, je dansais chez Mia et Vicky…

Gaelle Kermen,
Kerantorec 3 mai 2018

©1968-2010-2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

 

Mai 68 : la Une du Nouvel Observateur, le film de Michel Cournot à Cannes

Première Une de Mai 68 : le Nouvel Observateur du 30 avril au 7 mai 1968

Le film de Michel Cournot à Cannes

Très émue de commencer cette série de publication de Unes de journaux d’archives par la couverture de la revue Le Nouvel Observateur avec le profil de Cournot.

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Au cours de ma vie, il m’est arrivé de raconter certains éléments essentiels de mes années 60, je parlais alors de l’importance qu’avait eu, au début de mes études, ma lecture hebdomadaire des articles de Michel Cournot sur le cinéma dans Le Nouvel Observateur auquel j’étais abonnée. Parfois, j’ai rencontré des gens qui lisaient aussi le Nouvel Observateur rien que pour les chroniques de Cournot. Nous nous reconnaissions admirateurs de Cournot, soudain émus et nostalgiques d’une époque révolue. Les adorateurs de Cournot sont aussi décalés en cinéphilie que les fans de Kevin Ayers en musique pop des années 70 ou les lecteurs de Malcolm Lowry en littérature anglo-saxonne des années 50. Une espèce à part, avide de champs inexplorés, de découvertes enthousiastes, hors des chemins balisés par la mode imposée. Nous formions presque une société secrète.

Michel Cournot fait partie des personnes qui m’ont donné envie d’écrire et m’y ont encouragée. Son univers était toujours hors des sentiers battus, mais il nous faisait, dans un simple article, vibrer de tant de façons qu’on se sentait régénéré pour la semaine, dans l’attente du jeudi suivant pour le prochain article.

En avril 68, juste avant les événements de Mai qui allaient annuler le Festival de Cannes pour la première fois depuis sa création, Michel Cournot n’était plus critique de cinéma au Nouvel Observateur. Il avait été viré dès 1966, parce que les lecteurs normaux n’aimaient pas qu’il «  parle de tout, sauf de cinéma ».  Il avait été remplacé par Jean-Louis Bory, qui avait eu le prix Goncourt pour son roman Mon village à l’heure allemande.

Michel Cournot avait tourné un film Les Gauloise bleues. Il devait être projeté au Festival de Cannes. Le Festival n’a pas eu lieu. Cournot n’est pas entré dans l’histoire du cinéma. Mais il est resté dans le cœur et la mémoire de quelques uns d’entre nous, qui lui rendons encore hommage après plus d’un demi-siècle.

De la revue, je n’ai gardé que la couverture dans mes archives.

Les hasards des déménagements impliquaient des choix, j’ai arraché la couverture de ce numéro de Mai, sans doute quand, au mois de juin 1968, j’ai brûlé beaucoup de papiers avant de quitter la rue Visconti où j’habitais avec mon révolutionnaire malgache, Michel Bablon. Il m’a fait brûler des revues cubaines qui pouvaient être compromettantes si une descente de police arrivait dans l’appartement que nous avions prévu de quitter par les toits… Je ne pouvais pas brûler Cournot !

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Je regrette de n’avoir pas conservé la collection des numéros du Nouvel Observateur, restées chez mes parents à Saint-Leu-la-forêt, qui ont dû aussi faire des choix quand ils sont revenus habiter en Bretagne.

J’ai gardé les livres de Michel Cournot dans ma bibliothèque, près de ceux de son neveu Patrice Cournot. Tous deux ont été des phares dans ma vie.

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Bibliothèque : livres de Michel et Patrice Cournot (archives personnelles)

J’aimerais tellement pouvoir relire tous les articles de Cournot.

Ils mériteraient une réédition dans un recueil dédié à son souvenir, rien que pour lui.

Gaelle Kermen,

Kerantorec, le 30 avril 2018


Livres de Michel Cournot : Le premier spectateur et Enfants de la Justice

Livres de Patrice Cournot : Le jour de gloire, Le bonheur des autres, Le retour des Indiens Peaux-rouges


Mes cahiers sur cette époque : Le vent d’Avezan et Le soleil dans l’œil.


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 30 avril 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne


Pour en savoir plus sur le film de Cournot à Cannes :

https://www.festival-cannes.com/en/films/les-gauloises-bleues

Sur l’attitude de Michel Cournot pendant les événements de Mai 68, voir :

http://www.cannes.com/fr/culture/cannes-et-le-cinema/le-festival-de-cannes/histoire-du-festival-de-cannes/de-1939-a-nos-jours/les-annees-70-un-nouveau-depart-apres-la-crise-de-mai-1968.html

« Les réalisateurs Milos Forman, Jan Nemec, Michel Cournot, Salvatore Samperi et Mai Zetterling ont un film engagé en compétition mais, témoins de la scène, ils se rangent immédiatement aux côtés des contestataires et se retirent du concours, encourageant les autres candidats et les membres du jury à les rejoindre. »



Scrivener 3 plus simple en précommande sortie le 2 février 2018

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© Adam Molariss pour Indiegraphics 2018

 

Sortie en précommande du guide francophone d’initiation à la version 3 de Scrivener pour Mac : le 2 février 2018.

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Cadeau pour patienter

Pour attendre la sortie du guide Scrivener 3 plus simple, voici un module d’initiation aux tutoriels anglais fournis par le logiciel et le site.

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Belles écritures !
Gaelle Kermen
Kerantorec, le 20 janvier 2018

La bête humaine (brouillon)

Brouillon de l’article remis à la revue Esprit, 19 rue Jacob, Paris, Ve, après le concert du 3 octobre 1971 de Johnny Halliday au Palais des Sports, avec Gary Wright Wonder Wheel en première partie et Michel Polnareff au piano.

Johnny_1

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Johnny_3

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Support : papier pelure, dupliqué par papier carbone Armor (marque déposée par la Société Galland et Brochard à Nantes en 1925)

Archives 1971 de Gaelle Kermen
Kerantorec, le 8 décembre 2017


Le regard naufragé de Johnny

 

 

Le regard naufragé de Johnny

Le 6 décembre 2017 a été une journée de deuil national pour les Français. Mon amie Françoise, vue ce jour-là, était très émue de la mort de son « jumeau », puisque Johnny était né le 15 juin 1943, elle le 25. Elle revoyait sa vie, sa jeunesse, ses danses, ses amours, sur les chansons de Johnny.

Moi non. Je n’étais pas émue, sa mort me semblait normale, cet homme était épuisé. J’avais été choquée de voir des photos de la dernière tournée des Vieilles Canailles de juillet dernier, avec Eddy Mitchel, Jacques Dutronc et Johnny Halliday. Johnny me faisait penser à l’épuisement qui avait emporté Mozart, beaucoup plus tôt en âge, mais pour les mêmes raisons, rapportées à leur temps.

Bien sûr, Johnny a fait partie de ma vie, comme celle de tout le monde qui a connu les décennies des années 60 à maintenant. Surtout que Sylvie Vartan avait quitté notre lycée des Maraîchers, l’annexe d’Hélène Boucher, peu après les vacances de Noël 1960 quand elle avait accompagné au pied levé Frankie Jordan dans Panne d’essence. Bien sûr que nous avions suivi son histoire avec Johnny, il eût été difficile de l’ignorer.

Mais très vite dans la famille, nous étions passés à d’autres styles de musique, quand mon frère aîné, Youennick, m’avait rapporté de Londres en cadeau de Noël 1963 le premier disque intitulé Bob Dylan, où Song to Woody nous avait ouvert d’autres horizons.

Jamais je n’aurais acheté un disque de Johnny et je n’étais pas sensible à sa voix, que je trouvais forcée, alors qu’elle fait fondre encore mon amie Françoise, pour qui Bob Dylan n’est qu’un « petit chanteur » ne méritant pas le prix Nobel de littérature… Nous n’avons pas les mêmes valeurs !

Pourtant, j’ai un souvenir avec Johnny, qui m’est revenu quand je lisais les nouvelles sur mon iPad en me réveillant à 3:34 le 6 décembre 2017, une demi-heure après l’annonce de sa mort. Le souvenir d’un regard épuisé, de celui qui a tout donné à son public et va s’évanouir. Un regard naufragé qui me l’a rendu humain.

C’était le 3 octobre 1971. Mon journal de l’époque ne notait pas les dates, juste les moments, souvent intenses. J’ai dû rechercher dans mon agenda de poche 1971. Comme je suis bonne archiviste, la quête a été rapide.

J’avais été invitée au concert du Palais des Sports par Archibald Legget, le compagnon de ma meilleure amie, Martine Cassou, devenue Martine Moore, artiste-peintre arlésienne maintenant. Archie avait été le bassiste de Johnny et il faisait la première partie du concert avec Gary Wright et Mick Jones du Gary Wright Wonderwheel. J’avais pu aller en coulisse, dans leur loge et j’étais parmi les groupies du premier rang, debout devant la scène. Sylvie Vartan, très belle, très élégante, style 70′, n’était pas loin.

J’avais assisté à de grands concerts, celui de Bob Dylan le 25 mai 1966 à l’Olympia, le jour de ses vingt-et-un ans, j’avais vu Donovan en 1967, plusieurs fois Joan Baez entre 1965 et 1970, j’avais passé trois jours hors du temps au festival de Wight 70 avec les plus grands, Jim Morrison, Jimi Hendrix, Leonard Cohen…

Je ne serais jamais allée à un concert de Johnny Halliday si Archie Leggett ne m’avait pas invitée à venir l’entendre, lui, avec les musiciens de son groupe !

Mais j’étais intéressée par le show en fait sociologique, pour la même raison que j’étais allée à Wight étudier les rituels de cérémonies païennes que sont les grands rassemblements musicaux (j’étais étudiante en sociologie à la fac de Vincennes).

J’ai raconté dans un article pour la revue Esprit comment j’ai vécu le concert à grand spectacle de Johnny Halliday. Encore maintenant, je trouve bien vulgaires tous ces effets spéciaux de grands shows, ces costumes à paillettes clinquantes, alors que je garde au cœur la grâce de Mélanie faisant lever le soleil sur l’île de Wight de sa seule voix avec sa seule guitare.

Après le concert, je suis repartie en coulisse pour retrouver Archie, Gary, Mick et le manager du Wonderwheel, avec qui, d’après mon cahier de l’époque, j’ai passé la nuit quand nous sommes sortis de la boîte La bulle.

J’étais petite et menue, je me faufilais partout et j’osais parfois attendre les artistes à leur sortie de scène, en particulier Laurent Terzieff, dont je ne ratais aucune pièce, au théâtre Lucernaire ou Montparnasse. Cette fois, je n’attendais pas spécialement Johnny, je n’étais pas une fan. Un de mes amants était violoniste de l’Orchestre de Paris, j’allais très souvent aux concerts classiques et j’étais plus sensible aux interprètes et aux cantatrices qu’à Johnny Halliday.

Mais le temps s’est suspendu quand je me suis trouvée seule avec lui dans le couloir, au moment où Johnny allait rejoindre un cabinet médical où un médecin et un kinésithérapeute allaient le recevoir avant qu’il collapse comme chaque soir, ainsi que me l’avait raconté Archibald.

Nous nous sommes trouvés l’un en face de l’autre, tout proches, dans le silence soudain. Ce qui semblait incroyable quand on pensait à la folie qui venait d’avoir lieu dans la salle en surchauffe du Palais des Sports. Il vacillait d’épuisement. Une serviette éponge autour du cou, les cheveux longs mouillés comme s’il venait de survivre à un naufrage, sortant de l’eau. J’ai cru qu’il allait me tomber dans les bras. Il m’a lancé un regard que je n’ai jamais oublié, d’une grande humanité.

Un regard qui disait que cet homme n’était pas une marionnette fabriquée par le show-biz, mais un artiste qui avait donné sa fougue, sa sève, ses forces, sa vie, à son public.

Ce regard que m’a donné Johnny cette nuit-là avant que l’équipe médicale le prenne en charge dans le cabinet dont je voyais la porte ouverte proche — je pensais : « Plus que quelques mètres, Johnny, tu y es ! » comme si j’étais une mouette attentive sur le sable salvateur, je venais d’un pays qui connait les naufrages — ce regard est revenu la nuit du 6 décembre 2017 quand je me suis réveillée à 3:34, une heure après sa mort.

Ce diamant rayonne encore au fond de la mine des années.

J’ai fait un article pour le numéro de Novembre 1971 de la revue Esprit où j’écrivais dans le Journal à plusieurs voix, avec des gens comme Philippe Meyer (sur France-Inter plus tard). Le début et la fin de l’article ont été coupés. Je les ai retrouvés dans mes archives. J’y évoquais cette faiblesse humaine et légitime de Johnny.

Les rédacteurs n’avaient pas jugé utile de le mettre dans l’article.

C’est pourtant cette dimension de Johnny qui fait que je suis un peu en deuil moi aussi.

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Et l’homme qui en a le mieux parlé est celui qui jugeait qu’il n’était pas le mieux placé pour faire, Jean-Luc Mélenchon, qui comprend aussi la tristesse de mon amie Françoise, qui, en pleurant Johnny, revit et pleure les amours passées de sa jeunesse.

« Alors c’est ça qui est intéressant : ils l’aiment pour la musique, pour le personnage, pour la manière d’incarner des textes et puis ils l’aiment surtout par rapport à eux parce que celui qui a été amoureux une seule fois sur la musique de Johnny, il ne l’oublie pas plus qu’il n’oubliera son amour. En tout cas moi je comprends qu’il y ait plein de gens à qui ça fasse du chagrin. Pourtant ils ne le connaissent pas, ils ne lui ont jamais parlé, ils n’ont fait qu’écouter sa musique. Mais c’est un chagrin qu’on a sur la vie qui passe, sur la vanité des choses, sur tout ce qui dans notre propre existence personnelle a pu entrer en résonance avec les autres grâce à une musique ou une chanson. »

Jean-Luc Mélenchon

Vanitas Vanitatis ! Que cet homme repose enfin en paix ! Il a tout donné, toujours.

Gaelle Kermen,
Kerantorec, le 8 décembre 2017


Lien au fac-similé de l’article paru dans Esprit, novembre 71

Lien à l’hommage à Archibald Legget

Lien aux œuvres de Martine Moore (visite de 2009)

Lien à l’article sur le concert de l’Olympia de Bob Dylan

Liens aux articles sur Wight 70

Le festival de Wight 70 vu par 2 Frenchies de Gaelle Kermen et Jakez Morpain, 10 septembre 2017, ACD Carpe Diem

Isle of Wight 1970 : lundi 31 août matin du départ

Isle of Wight 1970 : lundi 31 août matin du départ

Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos inédites de Jacques Morpain.


Personnages
Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans

Texte de Gaelle Kermen (1970)
Photographies de Jacques Morpain (1970)

Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.


île de wight lundi 31 août 1970 matin du départ

réveil sur la pente au milieu des boites de conserve et des feuilles de journaux emportées par le vent

le ciel est couvert

c’est richie heavens qui termine ce festival
égal à lui-même
avec grande force et virulence

dernier jour à wight

on n’a pas pu entendre beaucoup richie heavens il fallait plier bagages et partir avant qu’il ne soit trop tard
on l’entendait derrière les tôles

un dernier passage aux toilettes

déjà la queue s’étendait sur des miles et des miles pour quitter l’île

en bons français on a essayé de resquiller mais ça n’a pas marché
alors comme tout le monde on a piétiné sagement ou presque

c’était sinistre ce petit matin gris sur le camp de tôles
comme si le festival était condamné
l’impression que c’était fini et qu’on ne reviendrait pas
et finalement une forte envie de sortir de là de cette crasse

on a attendu cinq heures

au bout de trois heures il s’est passé quelque chose de surprenant
la queue s’est dissoute
sans doute certains sont passés devant les autres
des français vraisemblablement
et tout le monde a suivi

alors on s’est retrouvés pressés en masse sur une largeur de 20 mètres de fils de fer barbelés tendus par les bobbies toujours imperturbables

impossible d’avancer

c’est vers ce moment qu’il s’est mis à pleuvoir les premières gouttes de notre semaine anglaise

quelques no rain no rain ont tenté de jaillir comme à woodstock
mais ça a fouarré
peu de communication

un seul type a failli faire copuler la masse
il avait profilé de la cohue pour rafler un paquet de tranches de pain sur l’étalage d’un marchand de soupes et sandwiches et il le distribuait autour de lui
ça a failli être beau mais ça n’a pas duré

et il a plu

certaines nanas avaient des robes légères et les bras nus

on a essayé aussi de chanter we shall overcome
sans grande conviction non plus
premier couplet et fini

les bobbies sont très calmes
ils attendent qu’on soient rangés avant de nous laisser monter dans les cars qui attendent vides depuis une heure

un officier se décide à demander qu’on recule pour déblayer la route
please will you please

évidemment nos flics français prendraient moins de gants et moins de temps pour nous faire dégager

c’est touchant cette politesse mais prodigieusement agaçant totalement inefficace

d’ailleurs un anglais furieux hurle
use your brain
injure suprême

finalement j’en ai marre ça a duré trop longtemps cette gentille attente
maintenant à chaque poussée je gueule systématiquement

je gueule
ma non-violence je l’oublie
je ne supporte plus la promiscuité de ces corps autour de moi et je suis responsable de bruno qui à chaque fois reçoit un coup de sac à dos dans la gueule

alors je hurle

il semble que ça paye car les bobbies se retournent inquiets

nous avons pu monter dans le prochain car

épuisement

chaleur


un dernier bain à ryde s’avère nécessaire

puis on prend l’hovercraft


à portsmouth un chauffeur de taxi nous dit que wight avait été le plus grand festival du monde c’était le mieux organisé aussi parait-il the best ever organised festival of the world


dire qu’on aurait le courage de retourner à wight l’an prochain s’il y a un autre festival pour l’instant ce serait difficile

à moins bien sûr que dylan revienne

mais on ne regrette pas d’être venus

ça valait le coup

mélanie éveillant le soleil c’est peut-être la plus belle chose qu’il m’ait été donné de voir
en intensité
en étrangeté

fin du carnet de voyage sur le festival de wight 70


 

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Texte de Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970
en mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997
ACD Carpe Diem 2017

 

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août dernier soir

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août dernier soir

Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos inédites de Jacques Morpain.


Personnages
Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans

Texte de Gaelle Kermen (1970)
Photographies de Jacques Morpain (1970)

Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.


île de wight dimanche 30 août 1970 dernier soir

je venais de penser qu’il n’y avait rien de comparable avec l’an dernier
en bas la foule n’a pas la force compacte de celle qui attendait dylan
pour rappeler l’atmosphère on a mis le disque hare krishna
importance psychanalytique du besoin de recréer les situations
mais ça ne marche pas

puis jethro jull
très bon
dingue

enfin jimi hendrix
bien parti
il joue l’hymne anglais comme il avait joué l’hymne américain à woodstock

mais il semble ne pas avoir la forme qu’il avait à woodstock

avec hendrix j’ai eu de nouveau l’impression que personne ne croyait plus à la musique à la paix à l’amour ni ceux qui chantaient ni ceux qui les écoutaient

tout au long du festival la question d’argent était revenue trop souvent

le même speaker qui avait pleuré sur ses millions de livres de déficit annonce joyeusement que six cent mille personnes sont venus à wight et que c’est magnifique

joan baez passe après jimi

elle parle de son mari
l’armée américaine le change régulièrement de prison
now he is at new-york

je m’ennuie
ou alors je l’ai entendue trop souvent raconter la même chose
six fois déjà
elle a toujours le même répertoire
une chanson de dylan en premier
puis let it be des beatles qu’elle a toujours aimé
là c’est oh happy days
oh my god

j’ai adoré joanie
j’aimais son visage de femme forte d’intelligence
l’an dernier elle avait coupé ses cheveux courts comme après une psychanalyse
je l’aimais pour un beau geste qu’elle avait eu un soir de printemps à paris au bullier en 1965
elle parlait de non-violence de gandhi de martin luther king
j’y croyais
c’était la belle époque du mcaa enfin le mouvement contre l’armement atomique des marches de la paix à taverny

ce soir-là au bullier joanie avait été prise à partie par des marxistes-léninistes
et dany cohn-bendit s’était approché du micro pour la défendre
oui oui oui comme je vous le dis
dany était fou de joanie et joanie dans son émoi lui avait pris la main
et dany flamboyait
c’était très beau

ensuite quelqu’un avait parlé de dylan
ils étaient séparés déjà
elle a eu un beau geste de la chevelure pour éluder
il a changé elle a dit
et il y avait dans son geste de la main toute la souffrance des femmes abandonnées
avec une rare beauté

je l’aimais pour ça
et pour sa brillance spirituelle ironique typiquement américaine
maintenant elle m’ennuie

elle est la première accusée de se faire payer trop cher
alors elle s’est décidée à dire qu’elle donnait son cachet de 12 000 livres en partie à des retardés mentaux et en partie à son école de non-violence de carmel
un peu trop tard

on a du mal à y croire et c’est bien dommage parce qu’elle au moins avait l’air d’y croire à la musique à la paix à l’amour


léonard cohen passe après joan baez

il est 4 heures du matin

ici sur la colline le vent de la mer repousse les paroles

je cherche des bribes de chanson dans le vent

je pensais que la voix cassée pleine de charme trouvait sa véritable dimension autour d’un simple feu de bois comme ça devait l’être à hydra d’après ce que m’a raconté platon lorsque nous étions en toscane ils étaient amis à l’époque de song for a room

mais il suffit de descendre quelques mètres pour jouir de l’amplitude douce et écorchée des chansons de cohen

plusieurs sont de l’album song from a room dont i know tonight will be fine avec une nouvelle manière de s’accompagner

sa voix se fait plus impératrice plus exigeante sur la foule en grande partie endormie à cette heure de la nuit

il fait bien son boulot
mais il manque une dimension celle que mélanie a su capter au petit matin

après seams so long ago nancy
il a dit good night friends

ça n’a pas déliré

ou je me suis endormie

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Texte de Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970
en mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997
ACD Carpe Diem 2017

 

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août après-midi au festival

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août après-midi au festival

Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos de Jacques Morpain.


Personnages
Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans

Texte de Gaelle Kermen (1970)
Photographies inédites de Jacques Morpain (1970)

Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.


île de wight dimanche 30 août 1970 après-midi

plus tard nous remontons au festival et là c’est une sacrée fumisterie

nous avons pu entrer dans l’arène puisque maintenant c’est free depuis l’attaque des palissades
je me demande comment on a osé faire payer 3 livres pour ne rien entendre
impossible de discerner la jolie voix de l’adorable donovan

en bas ça ressemble maintenant à un meeting organisé par le parti communiste au bois de vincennes
on est venus en famille passer le dimanche après-midi au festival
on est allongés au soleil
on n’entend que dalle
on participe à peine
comment le pourrait-on puisqu’il semble que seuls les premiers rangs jouissent de la touchante présence de donovan

bref il n’y a que sur la colline qu’on entende quelque chose
la colline c’est toute la grandeur du festival
la nuit ça a autant de gueule qu’un pèlerinage à lourdes
je ne suis jamais allée à lourdes mais je m’attends souvent à voir tomber à genoux les gens sur cette colline comme je l’avais vu à la salette quand j’étais petite

mais où est celui ou celle qui nous fera mettre à genoux ce soir
dylan n’est pas là
i misses him m’a dit un américain

dylan reste le plus grand
on vend ici son disque illégal bootlegger un disque tout blanc très rare au prix de 2 livres et demi
on vend aussi son tarentula ce qui devait être son roman écrit au fil des chambres d’hôtel ou autre mais qu’il n’a pas publié parce qu’il a eu son accident de moto
tarentula est une soixantaine de pages polycopiées signées robert zimmerman son vrai nom pour 10 shillings

rien n’est comparable à dylan
je me rappelle la retransmission du festival de wight 69 faite par michel lancelot sur europe 1 dans campus

il annonçait parfois tranquillement l’arrivée des beatles ou des stones dans l’assemblée
eux qui déchaînent les foules quand ils se produisent quelque part ici leur arrivée ne troublait personne ils étaient là comme les autres au même titre que les autres venus voir le plus grand

le film de pennbaker dont’ look back sur dylan passe ici le soir
nous l’avons vu à londres au paris-pullman
un dylan d’il y a 5 ans en 65
un dylan insoupçonnablement beau
des yeux tendres aux longs cils
des cheveux d’ange
un dylan qui n’a rien a voir avec celui des photos habituelles ni avec celui de l’olympia 66
un dylan vivant mouvant riant mordant
un dylan incisif et doux

deux très belles scènes dans le film
l’une est plus ancienne que le film et date des débuts de dylan chantant only a pawn in their game entouré d’ouvriers noirs
il articulait consciencieusement dans le micro
il avait les cheveux plus courts et encore cet air de boy-scout qui aurait grandi

l’autre se passe dans une chambre d’hôtel à londres entre deux concerts à l’albert hall
joanie baez chante une mélodie très douce
longs cheveux noirs autour du visage grave
elle s’accompagne à la guitare
dylan est devant sa machine à écrire
il écrit
tac tac tac tac
de temps en temps il s’arrête et se laisse bercer par le rythme de la berceuse de joanie
puis il reprend
tac tac tac tac
elle continue avec love is just a four letters word de lui
bientôt il prend lui-même une guitare et il improvise avec elle

oui je crois que dylan est le seul qui me ferait mettre à genoux sur cette colline

 

pentangle bon groupe musique brillante
la chanteuse jacqui mac shee est agréable à entendre
enfin un groupe qui ne se traîne pas dans l’après-midi

le soir la musique jaillit plus spontanément plus naturellement
ce groupe commence à accélérer le rythme de la journée
mélodies sans grande originalité mais bien menées
il nous semble les avoir toujours connues dans une enfance anglo-saxonne

mais si pentangle a bien commencé eux aussi se traînent maintenant
ou alors c’est le vent qui a tourné
on attend toujours plus
ce festival n’a plus grande motivation
je compte sur hendrix et heavens pour chauffer la nuit car ni cohen ni baez n’auront assez d’énergie pour transcender ce festival

les moody blues enfin

le soleil s’embrume dans leurs délicates harmonies dont le melotron retranscrit tous les sons d’un orchestre symphonique
ils auraient sans doute gagné à jouer la nuit
mais ils terminent ce que mélanie avait éveillé
le jour
avec un grand calme et beaucoup de rêve

bien sûr on a droit à night in white satin tube célèbre depuis deux étés au moins
et de leur opéra days of future passed
puis c’est timothy leary is dead de leur search of the lost chord
hommage à la drogue
hommage à la sagesse
hommage à om om om

dans le ciel vibrant un cerf-volant cherche aussi des harmonies perdues dans le rythme
ils font un beau succès les moody blues
grande classe

l’année dernière le melotron était tombé en panne sur scène la foule avait attendu calmement que celui des moody blues qui l’a inventé l’ingénieur le répare
très britannique comme attitude


un organisateur s’obstine à dire que ce n’est plus la peine de détruire les palissades puisque le festival était gratuit désormais

il n’avait pas compris que les plaques de tôle qui s’en allaient comme des petits pains servaient à se protéger du vent pour la nuit

un type à qui on demandait comment il s’était débrouillé pour gagner de l’argent à wight nous a dit
ben on faisait des baraques et on les revendait

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Pentangle on stage

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Texte de Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970
En mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997
ACD Carpe Diem 2017

 

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août midi sur la plage

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août midi sur la plage

Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos de Jacques Morpain.


Personnages :
Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans

Texte de Gaelle Kermen (1970)
Photographies de Jacques Morpain (1970)

Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.


île de wight dimanche 30 août 1970 midi sur la plage

dimanche midi sur la plage

comme il ne se passe plus rien on descend vers la plage de l’autre côté de la colline
là aussi pour descendre la falaise c’est la queue anglaise bien tranquille
sauf pour les hells angels qui sautent dangereusement

nous descendons par un chemin escarpé

en bas c’est la foule
comme une grande migration venue des collines
les hillbillies descendent

beaucoup sont nus
les inhibitions s’annihilent

une danse effrénée commence
en rite primitif
appels sur l’eau
rythmés par les mains frappés ou des galets entrechoqués
peace peace peace
les mains lancent l’eau vers le ciel en prière de fécondité
quelque chose de très beau
quelque chose de très grand


à bout de forces le groupe qui était devenu immense se dissipe

un peu plus loin sur la plage une fille et un type dansent nus
rythme des mains autour d’eux

beaucoup de photographes
enfin quelque chose de folklorique à prendre

tout à l’heure un type s’est baigné en même temps que moi
il s’est assis ensuite derrière nous
ils étaient français
je croyais qu’ils nous avaient entendu parler français nous aussi
je l’ai entendu dire je voudrais prendre une photo d’elle mais ça m’ennuie de la prendre à son insu dans cette position
son copain lui dit demande lui

ils se sont levés
le jeune type barbu qui s’était baigné en même temps que moi s’est approché
excuse me please may i
j’ai dit je suis française
ah bon alors est-ce que je peux vous prendre en photo
oui de toutes façons je suis myope

très ému il m’a photographiée
très timide il a dit merci

après le voisin de jakez un français aussi lui a demandé s’il pouvait photographier sa femme

et puis après les gens ne demandaient même plus
c’était la mitraille

c’était magnifique cette offrande des corps au soleil et à la mer
au pied des falaises de wight
peut-être un des plus beaux moments à conserver au cœur avec ce matin la voix étrange de mélanie éveillant la colline et la campagne
rien que pour ça ça valait le coup de venir à wight


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Crédit photos : Jacques Morpain 1970
en mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997
ACD Carpe Diem 2017